Fantaisie du premier avril, Inspis : recettes

Recette : casque mycénien aux pommes

Mais le soir du cinquième jour, la faim redoubla ; ils rongèrent les baudriers des glaives et les petites éponges formant le fond des casques.
— Gustave Flaubert, Salammbô,
chapitre XIV « Le défilé de la Hache »

Supposons que vous regardiez ça pendant que vous avez faim :

Ceci est un casque mycénien en dents de sanglier, découvert dans une tombe à chambre à Spáta (en Attique, à l’est d’Athènes) qui remonte aux XIVe-XIIIe siècles avant J.-C. et qui est conservé au Musée archéologique national d’Athènes (numéro d’inventaire NAMA EAM ∏2097-2098, photo par Claude Villetaneuse pour Wikimedia Commons en 2019). On en trouve déjà des comme ça en Crète, pendant la période minoenne. C’est ce même type de casque que l’on trouve décrit dans les épopées homériques, où ils sont portés par Ulysse et d’autres héros de la guerre de Troie.

Mais si vous avez faim, ou si vous êtes du genre gourmand, vous aurez peut-être la même idée saugrenue que moi, à savoir : « Et si on faisait la même chose avec des quartiers de pommes ? »

Voici donc une recette de casque mycénien aux pommes. Comme dirait Steven Spielberg, « il y a fallu 5000 ans pour que cette aventure devienne possible ».

N’ayez crainte : pour fantaisiste qu’il paraisse, le projet n’a rien que de très comestible, et même de très facile à préparer. Un esprit chagrin qui tenterait d’en rabaisser la portée imaginative pourrait objecter qu’il s’agit d’une simple variante sur la classique tarte fine aux pommes, mais les grands esprits tels que les vôtres ou le mien ne sauraient s’arrêter à de si mesquines rebuffades.

Ingrédients

  • 1 pâte feuilletée toute faite bio achetée au rayon frais de votre commerce de proximité favori (j’ai la flemme de vous indiquer comment faire la pâte cette année)
  • De belles et bonnes pommes cultivées dans le respect des normes de l’agriculture biologique (au moins 5 pommes pour deux personnes, mais ça fera sûrement trop car un casque aux pommes est plus petit qu’une tarte qui fait un rond entier ; mais c’est pas grave, ça vous fera plus de pommes et puis ça sert toujours).
  • D’autres pommes, en nombre à peu près égal et tout aussi bio que les autres, pour préparer la compote qui formera le fond de la tarte (je vous avais dit que les pommes ça sert toujours). Si vous êtes en pleine flemmingite, achetez de la compote toute prête ou de la préparation chimique industrielle compotoïde.
  • Du beurre bio
  • Idéalement un brin de sucre & de cannelle en poudre, si vous aimez ça. Vous arrivez à en trouver du bio, vous ? Moi non. Ce monde manque de cohérence (ou alors c’est juste ma supérette).
  • Ustensiles : un moule à tarte (qui, pour le coup, peut être rond, carré ou même rectangulaire sans que cela ne soulève d’obstacle insurmontable), un couteau pour éplucher les pommes, une petite casserole et une cuillère pour la compote, un autre ou le même pour couper le beurre, un peu d’essuie-tout ou un petit chiffon propre afin d’étaler le beurre sur le moule, un four pour cuire la tarte et des gants pour la sortir du four sans entrer à l’hôpital. Du papier d’aluminium à usage alimentaire peut aussi s’avérer utile.
  • Si vous devez transporter le casque aux pommes dans la rue en France actuellement, pensez à le tenir bien à plat et munissez-vous d’un sac isotherme ainsi que du Guide du manifestant arrêté du Syndicat national de la magistrature. En effet, les CRS risquent de vous arrêter en considérant que vous portez un casque et que c’est le signe d’une intention de fauter des troubles à l’ordre public au cours d’une manifestation.

Temps nécessaire

On nous raconte toujours que le garnissage de la tarte et tout ne prend que 10 minutes, mais en réalité je mets toujours des plombes, et puis là on va faire un dessin avec les pommes, donc comptez une demi-heure pour ça. Pour ce qui est de la cuisson de la pâte, lisez donc le mode d’emploi de votre pâte à tarte toute prête, ça vous évitera de faire brûler votre auguste demeure. Les pâtes toutes prêtes cuisent en général en 30 à 40 minutes, les pâtes qu’on fait soi-même moins longtemps (parce qu’on ne les stocke pas au frais en attendant de faire la tarte, en général). Mouais. En gros, comptez une heure et des poussières.

Préparation

Sortez votre compote ou entité industrielle compotiforme du placard. Si vous voulez faire la compote vous-même, procédez ainsi : épluchez les pommes pour la compote et coupez-les en petits cubes. Versez le tout dans une petite casserole et ajoutez une cuillère à café d’eau. Faites chauffer à feu moyen. Il faut savoir que si vous laissez le couvercle en place sur la casserole, l’eau se condensera dessous et retombera dans votre future compote, qui deviendra plus chargée d’eau (potentiellement trop); inversement, si vous ne laissez pas le couvercle en place, l’eau s’évaporera et votre préparation risque d’attacher, ce qui laissera de vilains morceaux de pomme carbonisée dans votre compote. Revenez ! Ce n’est pas si alarmant. Pensez simplement à touiller à un rythme honorable pour que ça n’attache pas. Quand les pommes commencent à bien fondre, ajoutez une cuillère à café de sucre et un brin de cannelle en poudre si vous aimez ça. Quand les pommes sont bien informes, vous pouvez éteindre le feu puis les achever au mixeur si vous préférez vos compotes bien lisses, ou finir de les écraser à la main si vous n’avez pas peur des grumeaux.

Faites préchauffer votre four à 180 degrés. Voire 200 s’il ne chauffe pas beaucoup. De toute façon, vous n’allez pas y couper, il faudra surveiller la cuisson.

Épluchez les pommes et coupez-les en quartiers semblables à de petits croissants de lune. Ce seront les « dents de sanglier » du casque.

Sortez votre moule du placard, puis le beurre et votre pâte toute faite bio du réfrigérateur. Utilisez un brin d’essuie-tout pour étaler le beurre bien partout dans le moule (ce qui facilitera le démoulage). Puis préparez-vous à déployer votre pâte à tarte dans le moule concerné. STOP ! C’est ici que nos chemins divergent dans des directions encore insoupçonnées. Au lieu de former la forme normalement prévue de la pâte (ronde, a priori), vous allez lui donner la forme d’un demi-cercle oblong, c’est-à-dire d’un casque vu de profil. Réservez quelques boudins de pâte à tarte pour modeler des séparateurs entre les rangées de « dents » et une bordure un peu plus épaisse autour de l’ensemble.

Vous pouvez ensuite garnir la pâte avec votre alléchante compote faite maison ou, à défaut, avec le concept approximativement voisin trouvé tout prêt sur les étagères mal éclairées d’une officine interlope.

Le moment architectural est venu. Emparez-vous de vos lunelles de pommes et disposez-les en rangées horizontales successives, en commençant par la base rectiligne du casque. Pour faire plus joli, orientez les lunelles dans des sens opposés d’une rangée à l’autre (ex. si la rangée du bas est bombée vers la gauche, bombez la rangée suivante vers la droite, etc.) pour alterner. N’hésitez pas à vous référer aux photographies de ce billet si le concept vous paraît brumeux. Un casque de taille convenable comprendra au moins trois rangées, dont la largeur ira décroissant à mesure que vous progresserez vers le sommet du casque. Vous allez trouver vos quartiers de pommes trop irréguliers et le dessin raté, c’est normal.

Utilisez à présent la pâte que vous aviez réservée pour modeler des séparateurs que vous placerez entre ces rangées de « dents » histoire de structurer un peu le dessin. Pour que le casque ait un contour bien dessiné, vous pouvez aussi modeler une bordure un peu épaisse, qui fera une jolie croûte et empêchera que les pommes ne bougent trop durant la cuisson.

Si vous êtes une personne organisée qui lit cette recette en entier avant de la commencer et que vous n’avez pas encore déployé votre pâte à tarte, vous savez ce que vous pouvez faire ? Ne placez pas la base horizontale de votre « casque » tout contre le bord du moule, mais laissez un espace équivalent à, disons, un tiers de la longueur du moule. De cette manière, vous vous ménagez la place suffisante pour dessiner un couvre-joue qui dépassera du casque vers le bas, et que vous garnirez de quelques lunelles de pommes supplémentaires.

Tête de guerrier en ivoire avec casque en dents sanglier, Mycènes XIV-XIIIe avJC, Musée archéologique de Mycènes. Vous voyez le couvre-joues ? Il y a carrément un couvre-nuque en plus, mais ça demande enore plus de pâte (et de pommes).

Pour le sommet, j’ai disposé des quartiers de pommes de manière à former un petit dôme. Avec plus de place au-dessus du casque, j’aurais pu dessiner un mini-plumet partant du sommet avec trois quartiers.

Une fois toutes vos lunelles de pommes en place, vous pouvez saupoudrer un brin de sucre et/ou de cannelle en poudre sur la tarte, puis déposer quelques noix de beurre de manière à peu près régulière, pour rehausser le goût et le bilan calorique de toute cette affaire. Voilà votre casque aux pommes prêt à pour la cuisson.

Avez vos gants spéciaux pour le four, enfournez votre casque-tarte. La première demi-heure de cuisson ne risque pas grand-chose (sauf si vous avez mal réglé la température) mais ensuite il faudra y revenir souvent pour vérifier que le casque dore comme il faut. Vous pouvez vous mettre un minuteur, un radio-réveil, une alerte sur votre téléphone, parler de cette durée de cuisson à une personne plus anxieuse que vous ou boire un verre d’eau et sortir le dessert du four quand vous aurez envie de faire pipi. Vérifiez que la croûte est assez dorée mais pas trop brunie. Quand le casque est devenu doré comme Gustave, sortez-le du four.

Dégustez en agréable compagnie pendant votre prochaine partie de Kosmos.

— Mouais, c’est pas terrible pour un premier essai, hein. C’est à peu près aussi bien proportionné que le canard sur la toile cirée en bas à gauche.
— J’aimerais vous y voir ! Mon moule était tout petit et j’ai voulu ajouter des espèces d’aigrettes de chaque côté en haut, ce qui a nui à la lisibilité de l’ensemble. La croûte est aussi un peu grosse et a eu tendance à redonner une forme carrée au machin. On peut envisager de mettre moins, voire pas du tout, de bordure de pâte sur les côtés.
(Premier essai de la recette en septembre 2022)

Propos conclusif

Cette recette ne forme bien entendu que l’humble brouillon d’une démarche culinaire bien plus vaste porteuse d’aspirations ambitieuses et grandioses, et susceptible de mener à la confection d’un champ de bataille complet de la guerre de Troie, avec remparts en biscuits à la cuillère, boucliers en langues de chat, Achéens en pâte d’amande, belle Hélène en poire et cheval de Troie en biscuits boudoirs.

Je dois cependant me dédouaner contre toute accusation potentielle de publicité mensongère : vous ne vous trouvez que sur le site d’un simple particulier rôliste et auteur amateur, c’est pourquoi, pour ce premier essai — maladroit —, le casque demeure benoîtement bidimensionnel. Mais avec l’audace et du papier d’aluminium (ou tout simplement un bol), et un moyen de bien maintenir en place les quartiers de pommes, il ne serait sûrement pas infaisable de façonner un casque-tarte en 3D relief qui ressemblerait de plus près au casque véritable.

Et on poserait une boule de glace à la vanille au sommet.

Voilà bien la seule espèce de guerre que je puisse aimer sincèrement.

Régalez-vous, et à lundi pour le matériel de jeu sérieux du mois d’avril !

1 réflexion au sujet de “Recette : casque mycénien aux pommes”

  1. J’arrive après la bataille poisonnière (air connu: « ils tombent, tombent, tombent… »), mais je voudrais néanmoins m’insurger (sans intention d’insurrection ni autres moeurs dissolvogènes) contre le manque d’inclusivité de cette recette: et les vegan.es intolérant.es au gluten, qu’en faites vous donc? Graisse végétale, mix sans gluten, tout cela existe, que ne le mentionnâtes-vous point? Quand à la cannelle en poudre bio, bien sûr qu’on en trouve! Il faut changer de superette, Monsieur!

    Tiens, en passant: merci m’sieur pour toutes ces livraisons kosmiques! On ne s’en lasse pas! Juste une petite suggestion pour se renouveler un peu: passer vite fait un doctorat en iranologie pour nous pondre un p’tit jdr basé sur l’Avesta… Même pas chiche!

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